• Chemin de Compostelle - Le 09 Juin 1999

    Juste un œil ouvert, ma voisine est déjà debout. Elle vaque à ses occupations, discute avec le jeune allemand. Nos regards se croisent : «Bonjour, ça va ?» l’accent est prononcé, le ton empreint de sollicitude.

    Hier soir à ma table, elle n’a échangé qu’en allemand, et là, ce sourire, ces mots familiers, je fonds de gratitude, je remercie.


    Dans la nuit il y a eu du bruit, une femme et des hommes parlant à hautes voix, quelqu’un a réclamé le silence. Tout cela m’est parvenu assourdi dans les brumes du sommeil. J’ai bien dormi.

    La toilette, un petit déjeuner froid et vite expédié, j’observe un pèlerin vêtu de la parfaite tenue du randonneur, il astique ses chaussures neuves. Il s’applique, cela semble inutile ce cirage à reluire alors que les chemins sont si boueux, il est attendrissant, on dirait un petit garçon, tout beau, tout propre, pour le premier jour de classe.

    Ma voisine est prête depuis longtemps, elle aussi a une chouette de tenue, pantalon à poches multiples, gilet avec manches démontables, chapeau à rabat, pour elle, ce sera le safari. Finalement elle se décide, chausse son sac et quitte la pièce.

    Je reste là, assise, à découvrir ces compagnons de voyage. Comme un apprivoisement, il va falloir faire avec tous ces visages, les découvrir, les aimer peut être.

    A mon tour je bouge, il est temps ...


    S’il ne pleut plus, il fait gris et froid. Les sentiers que nous empruntons sont défoncés de boues glissantes et profondes. A tel point que certains passages sont impraticables, les détours se font sous le couvert dans des conditions difficiles avec gros sac.

    Ils m’ont tous dépassée, marchant si vite, me voici seule.
    Je me rebelle, je râle de me voir suivre bêtement ce parcours fléché, et fulmine en découvrant les portions où le chemin est clos de barbelés, on se croirait dans un camp de concentration !

    Vais-je m’arrêter à Zubiri ou plus loin jusqu’à Larrasoana ?


    « On verra bien, inchala » dit-elle, mais le cœur n’y est pas !

    Arrivée à Zubiri, le malaise grandit. Une modernité délabrée, une rue bordée d’HLM, aucune indication pour trouver le refuge, pas de pèlerin en vue, quelques passants auxquels elle n’ose pas s’adresser.

    Elle reconnaît cet état, toutes ses étapes, ses effets, ses conséquences. Mais il est trop tard pour l’arrêter, il faut le laisser aller son terme.

    Elle reprend le chemin, les marques jaunes, son entêtement, elle avance comme un automate.


    Comme la foudre sur l’arbre isolé un soir d’été. Elle est tombée à genou, le visage levé vers le ciel, terrassée par une force invisible qui vient du dedans comme du dehors. Cela la vide et la remplit à la fois, une bouffée intense de chaleur arrache quelque chose qui se tenait emprisonné, une explosion, elle expire : « Je vous aime ! ». Et elle aime tous et tout, elle AIME. La peur la quitte, plus de colère, elle s'est remise en marche.

    La voici, qui entre dans Larrasoana. A deux gamins elle demande : « El refugio, por favor ? ». Ils rient, lui donne la bonne formule. Appliquée, elle répète, ils rient de plus bel. Elle leur sourit. Ils la prennent par la main, et la conduisent jusqu’à la porte du refuge.

    Ils sont tous là, Rotraud qui lui a souhaité le bon jour ce matin, Markus, le jeune allemand si mince et si grand, Stéphanie et Jean Lou, le couple de français, André, l’homme à la tenue parfaite, Monica, la fille qui parle fort la nuit, et tous les autres quittés ce matin.

     

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