• Chemin de Compostelle - Le 17 Mai 1999

    Ce matin, sur la D20, il y a beaucoup de circulation. Rien de plus terrible que ces routes étroites où tant de véhicules roulent à vive allure ! Pas de banquette, le quidam à pieds y est en grand danger. Elle fait finalement un détour, pour atteindre Flavignac, elle passe par Sereilhac.

    Là, tout s’immobilise.

    Fillette remercie, et vois. Tu ne pourras pas te reposer en tes œuvres. Il n’y a rien d’acquis. N’attache pas ton cœur à ce qui passe.

    Vois, comme ici, tout s’arrête et se pose. Les hommes continuent à s’agiter comme si de rien n’était, personne pour lever les yeux au ciel et voir l’immobilité de "l’éternité". Les arbres, eux, ont compris, ils se tiennent cois, pas une feuille ne bouge.

    Là, où se posent les yeux, se pose le cœur.


    Quelques gouttes, puis une pluie fine et pénétrante. J’ai sorti la cape. Je finissais de la revêtir qu’une dame motorisée me propose de me déposer à Flavignac.

    Que nenni, le pèlerin va à pieds !

    Bonne mère, que n’ai-je compris le message ?

    « La pluie, ce n’est pas grave, le pire c’est la chaleur. » disait l’ignorante. La voilà qui s’abat sur cette petite route en trombes d’eau. Plus une seule voiture ne s’est arrêtée, celles qui sont passées m’ont copieusement arrosée.


    «Un coin de grange pour pique-niquer ? Ma pauvre dame, avec les bêtes!» et la porte se referme, laissant la pauvre dame sous le déluge. Un peu plus loin, une fenêtre ouverte sur une grande cuisine où ça sent bon le frichti chaud. Il y a eu un moment d’affolement quand je les ai interpellés, et un de soulagement lorsque j’ai parlé de la grange. La dame a dit : « Oui », et me voici sous une remise où ça sent bon, le fuel.

    Un chien et un chat, craintifs, sont venus me saluer. Ils avaient de la tendresse à partager, nous nous sommes bien réconfortés.

    La dame est venue m’offrir un café : « Pour me réchauffer ». Le café est bon, on me l’a servi dans une belle tasse en porcelaine qui tranche étonnement dans le décor. Je reste seule, avec pour mission de redéposer la tasse sur le coin de l’établi encombré.

    J’ai salué les quatre pattes, et repris le chemin. Il ne pleuvait plus, je me suis contentée du K-way comme si j’en avais fini avec la peine de cette journée.
    Un peu plus loin, sous un hangar, abri précaire d’un troupeau de moutons, j’ai remis la cape. Les bêlants étant effrayés par ma présence, je ne me suis pas attardée.

    Je ne me suis pas plus attardée dans cette étable vide, où je pensais pouvoir me reposer un peu. Je sursautais à chaque bruit, craignant l’arrivée d’un paysan furieux de mon intrusion.

    Une autre tentative, dans une grange abandonnée, se solde aussi par un échec. Pourtant, la paille m’avait donné des idées de sieste. Je m’apprêtais à me laisser aller, lorsque des couinements caractéristiques se sont fait entendre. Ça venait de dessous, de là où j’étais couchée. Demander l’hospitalité à ces invisibles mais ô combien audibles hôtesses ? J’ai repris la route, dépitée, fatiguée et trempée.


    Dix kilomètres, pas un de plus, pas un moins, sous la pluie battante, cinglant le visage, les mains, pénétrant la cape, ruisselant sur le caleçon gaugé, et me voilà à Flavignac. Le café du village est ouvert, je m’y installe dans un coin, je goutte, j’ai amené la pluie avec moi.

    Que faire ? Il n’y a pas d’hôtel, mais un camping, un service de car… Que faire qui prenne sens ? Il est bientôt 17 heures. Aller planter la tente ?

    Non ! Cela n’a pas de sens, il n’y a rien à prouver.

    Il pleut dans mon cœur, comme il pleut sur la ville ... Que vas-tu faire ?

    Le ciel s’égoutte t’il ? Va-t-il s’ouvrir sur une belle éclaircie ? Ou se fendre encore et encore ?

    Que vas-tu faire ?

    Je vais à Compostelle. Je vais mettre en mouvement une question qui ne trouve réponse. Une question, toujours la même, qui se répète à l’infini, qui rencontre sans cesse les limites "en l’autre".

     

    C’est une famille asiatique qui tient le café. La grand-mère dispute l’enfant pour des devoirs non faits. La mère ne dit rien. Un homme entre et sort, il tourne en rond, il me tourne autour.

    Lorsque je suis sortie, décidée à prendre le bus pour me rendre au village des Cars, où on me l’a dit, il y a un hôtel, il m’aborde. « Allons, petit homme, je vois bien tes manigances, ton regard n’est pas droit, mais puisque tu le proposes, va, conduis-moi jusqu’à l’hôtel ».


    Le repas est bon, copieux.

    Dans le ciel vidé de son armada de nuages, nous avons observé une belle conjonction Vénus, premier quartier de lune. Nous avons échangé à propos de tout et de rien, de nos vies…

    Pour elle, assurément, je suis une énigme.

    Pourquoi aller à pieds, au pas lent de dame tortue, à une époque où existent tant de véhicules rapides ? Son étonnement est total, il ne sous entend aucune raillerie, vraiment elle ne comprend pas. Elle se bat avec son mari, pour faire prospérer cet hôtel qu’ils ont acheté, il y a peu de temps. Toute son énergie est consacrée à demain, un avenir meilleur qui sera mérité. Et, elle a peur, peur que cela n’advienne pas. Alors partir sur les chemins, à pieds, seule, pour rejoindre un lieu, au bout de l’Espagne…

     

    Pourtant, parce que j’ai évoqué les difficultés pour entretenir le linge, elle me propose de me le laver et de le mettre à sécher dans la chaufferie. Elle refusera catégoriquement que je la règle pour ce service.

    Nous ne sommes pas si différentes qu’il y paraît ma sœur. Quelque chose de toi vibre en moi, et ce n’est pas que l’opiniâtreté à la tâche. Quelque chose d’insensé qui cherche à être, quelque chose d’une tension qui ne trouvera jamais résolution, parce que cette tension, est le flux vivant.

     

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