• Chemin de Compostelle - Le 27 Avril 1999

    Ce matin, décidée à quitter le bord de la route, elle a emprunté un sentier qui d'après la carte mène à Prémery. Correct à son début, le gentil chemin s’est dévergondé d’herbes hautes et humides. Très vite, les chaussures ont été trempées, et les chaussettes et les pieds. "Imperméables", disait la pub. Mensonge, ces chaussures "es spéciales randonnée" ne sont hermétique qu’à l’air frais !

    Fallait-il rebrousser chemin ?

    Elle a dit : « Va ! » et arrivée en bas : « Tyran de paysan, non seulement, tu t’appropries un chemin, mais de surcroît tu ne préviens pas qu'au bout de la descente, tu as dressé une barrière sur laquelle tu as placardé un tas de menaces pour celui qui oserait la franchir. »


    Elle n'a pas osé. Elle a attendu qu’un quidam pointe son nez, elle aurait demandé l’autorisation. Personne n’est venu. La colère lui a donnée des forces pour remonter, mais très vite ces forces l’ont quittée, la laissant triste et amère et déjà fatiguée.

    Au Grand Rigny, un hameau perdu dans les bois, une femme, la tignasse grise en bataille, se précipite. Elle a surgi d’une maison, parle fort, comme quelqu’un qui veut absolument être entendu. La pérégrina voudrait bien ne pas s’arrêter, mais l’autre lui barre la route. Elle fait mine de l’écouter, mais elle n’est qu’au bruit en elle : « Qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ? »

    Et la voilà qui file, sans se retourner. Dans son dos la vieille n’en finit pas de causer, toujours plus fort alors qu’elle s’éloigne. Elle hâte encore le pas, c’est aisé la route maintenant descend au creux de la forêt. Les pensées se bousculent :

    - elle ne voulait que te renseigner.

    - mais je ne lui ai rien demandé, et comment pourrait-elle savoir où je vais ? Par ici, les gens ne connaissent pas l’existence du chemin de Compostelle, et quand bien même, celui-ci n’étant ni repéré, ni fléché, le pèlerin fait son propre itinéraire. Alors ?

    - alors, il n’y a pas lieu de paniquer ainsi !

    - mais je ne panique pas, c’est que partie comme elle l’était…, d’ailleurs je ne comprenais rien à ce qu’elle disait.

    Brusquement elle s’arrête, lui revient la direction regardée sur la carte un peu avant cette rencontre. A l’embranchement elle a continué tout droit comme si la descente allait de soi, mais ne fallait-il pas obliquer sur la gauche ?

    La carte est là, à porter de main, des yeux, coincée sous la banane où se trouvent les biens les plus précieux, l’argent, le couteau suisse, la carte d’identité, … elle la tire pour vérifier, mais déjà elle sait qu’elle s’est trompée. Pour la deuxième fois, en cette deuxième journée de marche, elle remonte une pente "inutilement" descendue.

    Au croisement, tout près de la maison de la vieille femme, le silence, la rue est déserte.

    Pourtant elle est là, dans l’ombre, qui observe celle qui ploie sous son sac trop chargé. Elle sait la peur qui pousse dans l’erreur. Elle sait la confusion, et le vacarme comme un trou dans le silence.

     

    Un peu plus loin, elle demande à la fermière qui la regarde passer, l’autorisation de poser mon sac sur le muret de pierres de sa propriété, le temps de faire une pose qui s'impose. Il est si lourd, ce sac, qu’il lui faut un support pour le retirer mais surtout pour se le remettre sur le dos. Elle a bien essayé de faire sans mais, elle n'a pas assez de force pour le soulever jusqu’aux épaules. Assise au sol, elle a tenté de se relever avec la bête sur le dos, mais cela n'a pas été impossible. Ce n'est que bien plus tard, des jours et des jours, qu'elle pensera à se mettre à quatre pattes, pousser avec les bras. Pour le moment elle n’a trouvé que cette solution, le mettre à bonne hauteur et se glisser dans les bretelles. L’alléger ? Elle a dans ce sac, ce qui est indispensable et rien d’autre, il faut faire avec ! Sans la tente, sans le duvet, le tapis de mousse et le réchaud, l’aventure serait de rencontrer chaque soir, le bon vouloir des pairs. Elle a fait le choix de l’autonomie, cela a son prix, en l’occurrence son poids. Poids physique, et aussitôt psychologique, car la voilà à chérir tous les murs de ce pays. Aussi quand elle a vu celui-ci !

    - Vous allez loin comme ça ?

    - Assez oui, j’ai repéré sur la carte une possibilité de passer par la forêt, un sacré raccourci d’après mes calculs.

    Mais la dame ne sait pas, elle pratique la route et ne connaît rien de sa campagne. Tant pis, elle décide de tenter l’aventure, l’itinéraire semble sans risque, il suffit de traverser tout droit. Tout droit elle connaît.


    La voilà dans le doute, assise à l’écart du sentier sur un tronc à la bonne hauteur. Elle a la boussole, mais ne sait pas l’utiliser. A plusieurs reprises déjà, elle a du décider, un peu à gauche, un peu à droite. Peut être est-elle perdue ? Elle retient avant qu’elles ne l’envahissent les émotions négatives, faire le vide, ne pas penser.

    Pour grimper la côte, elle s’est aidée d’un bâton ramassé au sol. Elle l’a jeté au loin avant de s’arrêter.

    Elle a jeté ce bâton trop moche, trop sale. Elle en cherche un autre du regard. En voici un qui pourrait faire l’affaire. Elle le gratte avec la lame du couteau, le teste, il a l’air solide. Il est comme elle, il a du souvent changer de directions, à coup d’entêtements, histoire de ne pas céder devant l’adversité. Il est fait de brusqueries, de coudes et pourtant il tient debout.

    « Je te propose un marché, ami du bois perdu, si tu m’aides, je t’emmène jusqu’à Saint Jacques, là-bas en Galicie, tu seras mon compagnon de voyage. Guide mes pas, et je te ferai faire un beau voyage. »

    Dans les taillis elle trouve une paire de jumelles qui vient alourdir un peu plus le sac. Enfin, soulagée, elle sort du bois, une route, la route. Pas exactement où cela était prévu, faut-il aller à droite ou à gauche ?

    Elle est allée jusqu’à une ferme sur une petite hauteur, mais seul un chien braillard. Un peu plus loin, dans un champ, elle interroge un paysan, impossible de comprendre ce qu’il dit.

    Alors, elle poursuit dans cette direction, sans plus se demander où elle est. Cela n’a plus d’importance, le bâton ne l’a t-il pas sortie du bois ?

    Plus de tension, la marche se fait danse. Le vent se lève, brusquement, et avec lui se dit la pluie qui ne tardera pas. Là, un kiosque à pique nique, elle décide de planter la tente sous ce toit providentiel, sur un sol sans aucune bosse, lisse et doux.

    Pour ne pas avoir froid, elle a mis tous les vêtements dont elle dispose, le caleçon, le bonnet, les gants et s’est enveloppée dans la couverture de survie. Après l’étape chaudée, elle s’endort sans trembler.


    Des hurlements de chiens dans la nuit profonde qui s’amplifient et semblent se rapprocher. Réveillée, attentive, au moindre souffle de cette forêt, elle referme les yeux et s’en remet, elle dort la bombe lacrymogène dans la main. Elle ne voulait pas emporter cette arme dans ses bagages, c’est le fils qui a insisté. Elle a cédé, elle ne le regrette pas.

     

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