• Traversée de Nevers, visite de la cathédrale, arrêt sur les bords de la Loire, je quitte la ville par ce pont admiré sur les cartes postales. Dommage, des travaux rendent le passage désagréable. Plus désagréable encore, est la route qu’il faut prendre pour franchir les faubourgs, longue, droite, sans aucun attrait, harassante sous la chaleur.

    Le soleil tape dure sur le bitume et sur ma tête. Exténuée, je cherche dès 16h30, un endroit pour planter la tente.

    Elle m’a envoyée balader la dame toute sèche du dedans et du dehors, toute nouée comme le nom de sa ferme.

    Nécessité oblige, je réitère ma demande à la ferme suivante, Grigny le Château. Accueil joyeux, du fils qui est seul à la maison, puis la mère, le père. La famille me prête un coin d’herbe et dans l’étable je peux profiter du robinet d’eau.


    La pluie, violente sur la toile, l’a réveillée au milieu de la nuit. Si vulnérable… oui, comme ce nourrisson qui pleura nuits et jours durant les huit premiers mois. Elle est ce ciel qui se déverse, elle ne lutte pas, le sommeil la reprend doucement, comme on prend un petit contre soi, un sommeil profond, sans rêve.

     


    2 commentaires
  • Voici, les Côtes du Nivernais, pays d’élevage à n’en pas douter. Les vaches accompagnent ma lente marche du regard, elles cessent de brouter pour mieux profiter du spectacle. Et là, dans ce pré, elles sont quinze à se mettre en ligne, le taureau, lui, est resté en retrait. Je m’arrête, elles attendent patiemment que je reprenne la route.

    J’ai toujours entendu dire que les vaches regardent les trains passer, sûrement qu’ils sont trop rapides de nos jours, elles auront trouvé mieux, la pèlerine et son gros sac bleu. A moins que je ne les fasse rêver, le temps de la transhumance est, peut être, encore inscrit dans leurs cellules, images de vastes prairie, d’herbes sauvages...

    Depuis hier, je vais demander l’eau chez l’habitant, c’est que les fontaines d’eau vive ne sont plus que bouches asséchées. Les gens sont contents de me rendre ce service. La petite dame que je quitte, a rempli la gourde d’eau minérale : « Comme pour nous », a-t-elle dit.

    Pour soulager mes pieds qui fréquentent les enfers, j’ôte régulièrement chaussures et chaussettes. Après quelques minutes, la température baisse, il est temps de repartir.

    J’ai hâte d’arriver à Nevers, j’ai décidé d’y dormir à l’hôtel. L’idée d’un bon lit, d’une douche plus que nécessaire, j’avance d’un bon pas. Il me faudra aussi laver mon linge, j’irai dans un lavomatique, et puis je passerai dans une pharmacie pour tenter de soulager mes extrémités avec quelque produit miracle. Demain, avant de quitter la ville, j’irai rendre visite à Bernadette, une promesse dont je ne sais plus l’origine.


    L’hôtel pas cher, est très loin du centre ville, pas grave ! Sans le sac, je me sens capable d’aller au bout du monde.

    Pas de lavomatique dans cette ville, est ce possible ? C’est ce qu’on me dit à la pharmacie. En fait il y en aurait un, en direction de Carrefour, près de la caserne des militaires, il faut franchir le pont de chemin de fer mais c’est LOIN, pour quelqu’un qui va à pieds. Pas aimables, le monsieur et la dame, je me sens malmenée par leur indifférence hautaine.


    La voici encore perdue, la nuit commence à tomber, la fatigue est grande et le bel enthousiasme s’est envolé. Comme un automate, elle se remet à marcher. Elle prend une longue rue qui semble ne jamais devoir finir, elle avance comme s’il n’y avait plus rien d’autre à faire.

    Puis, elle reconnait cet endroit où elle le jure elle n’est jamais venue, malgré l’heure tardive c’est encore ouvert. Bernadette repose en ce lieu, si petite, tellement belle en ce "repos éternel".

    Elle est ressortie de la chapelle, ses pas l’amènent vers un parcours fléché. Les jardins, après la sévère façade du couvent, l’endroit où le corps a connu la terre sans y succomber, et tout en bas, la source. De l’autre coté du mur, la ville et son agitation… incroyable tout est là, identique à ce que la pharmacienne a expliqué : le pont de chemin de fer, la caserne…


    J’ai eu le temps de laver et de sécher mes nippes. Au café où j’ai attendu, la fleuriste est venue bavarder avec la serveuse : « Quand on a mal aux pieds, on a mal partout ». J’ai levé les yeux sur celle qui se plaignait, fatigue et souffrance se mêlent dans le creux des rides. Je me reconnais, elle me sourit, intensité du partage silencieux.

    Bien contente, mon linge propre sous le bras, je demande le chemin à une femme devant le portail d’une grande maison. Effrayée par la distance qui me sépare de l’hôtel, elle va chercher son mari, la voiture, et ils me raccompagnent, la nuit est définitivement tombée sur la ville.

    Suspension du temps, ces inconnus si proches… tout l’univers là, en cet instant.

     


    votre commentaire
  • Ce matin, décidée à quitter le bord de la route, elle a emprunté un sentier qui d'après la carte mène à Prémery. Correct à son début, le gentil chemin s’est dévergondé d’herbes hautes et humides. Très vite, les chaussures ont été trempées, et les chaussettes et les pieds. "Imperméables", disait la pub. Mensonge, ces chaussures "es spéciales randonnée" ne sont hermétique qu’à l’air frais !

    Fallait-il rebrousser chemin ?

    Elle a dit : « Va ! » et arrivée en bas : « Tyran de paysan, non seulement, tu t’appropries un chemin, mais de surcroît tu ne préviens pas qu'au bout de la descente, tu as dressé une barrière sur laquelle tu as placardé un tas de menaces pour celui qui oserait la franchir. »


    Elle n'a pas osé. Elle a attendu qu’un quidam pointe son nez, elle aurait demandé l’autorisation. Personne n’est venu. La colère lui a donnée des forces pour remonter, mais très vite ces forces l’ont quittée, la laissant triste et amère et déjà fatiguée.

    Au Grand Rigny, un hameau perdu dans les bois, une femme, la tignasse grise en bataille, se précipite. Elle a surgi d’une maison, parle fort, comme quelqu’un qui veut absolument être entendu. La pérégrina voudrait bien ne pas s’arrêter, mais l’autre lui barre la route. Elle fait mine de l’écouter, mais elle n’est qu’au bruit en elle : « Qu’est-ce qu’elle me veut celle-là ? »

    Et la voilà qui file, sans se retourner. Dans son dos la vieille n’en finit pas de causer, toujours plus fort alors qu’elle s’éloigne. Elle hâte encore le pas, c’est aisé la route maintenant descend au creux de la forêt. Les pensées se bousculent :

    - elle ne voulait que te renseigner.

    - mais je ne lui ai rien demandé, et comment pourrait-elle savoir où je vais ? Par ici, les gens ne connaissent pas l’existence du chemin de Compostelle, et quand bien même, celui-ci n’étant ni repéré, ni fléché, le pèlerin fait son propre itinéraire. Alors ?

    - alors, il n’y a pas lieu de paniquer ainsi !

    - mais je ne panique pas, c’est que partie comme elle l’était…, d’ailleurs je ne comprenais rien à ce qu’elle disait.

    Brusquement elle s’arrête, lui revient la direction regardée sur la carte un peu avant cette rencontre. A l’embranchement elle a continué tout droit comme si la descente allait de soi, mais ne fallait-il pas obliquer sur la gauche ?

    La carte est là, à porter de main, des yeux, coincée sous la banane où se trouvent les biens les plus précieux, l’argent, le couteau suisse, la carte d’identité, … elle la tire pour vérifier, mais déjà elle sait qu’elle s’est trompée. Pour la deuxième fois, en cette deuxième journée de marche, elle remonte une pente "inutilement" descendue.

    Au croisement, tout près de la maison de la vieille femme, le silence, la rue est déserte.

    Pourtant elle est là, dans l’ombre, qui observe celle qui ploie sous son sac trop chargé. Elle sait la peur qui pousse dans l’erreur. Elle sait la confusion, et le vacarme comme un trou dans le silence.

     

    Un peu plus loin, elle demande à la fermière qui la regarde passer, l’autorisation de poser mon sac sur le muret de pierres de sa propriété, le temps de faire une pose qui s'impose. Il est si lourd, ce sac, qu’il lui faut un support pour le retirer mais surtout pour se le remettre sur le dos. Elle a bien essayé de faire sans mais, elle n'a pas assez de force pour le soulever jusqu’aux épaules. Assise au sol, elle a tenté de se relever avec la bête sur le dos, mais cela n'a pas été impossible. Ce n'est que bien plus tard, des jours et des jours, qu'elle pensera à se mettre à quatre pattes, pousser avec les bras. Pour le moment elle n’a trouvé que cette solution, le mettre à bonne hauteur et se glisser dans les bretelles. L’alléger ? Elle a dans ce sac, ce qui est indispensable et rien d’autre, il faut faire avec ! Sans la tente, sans le duvet, le tapis de mousse et le réchaud, l’aventure serait de rencontrer chaque soir, le bon vouloir des pairs. Elle a fait le choix de l’autonomie, cela a son prix, en l’occurrence son poids. Poids physique, et aussitôt psychologique, car la voilà à chérir tous les murs de ce pays. Aussi quand elle a vu celui-ci !

    - Vous allez loin comme ça ?

    - Assez oui, j’ai repéré sur la carte une possibilité de passer par la forêt, un sacré raccourci d’après mes calculs.

    Mais la dame ne sait pas, elle pratique la route et ne connaît rien de sa campagne. Tant pis, elle décide de tenter l’aventure, l’itinéraire semble sans risque, il suffit de traverser tout droit. Tout droit elle connaît.


    La voilà dans le doute, assise à l’écart du sentier sur un tronc à la bonne hauteur. Elle a la boussole, mais ne sait pas l’utiliser. A plusieurs reprises déjà, elle a du décider, un peu à gauche, un peu à droite. Peut être est-elle perdue ? Elle retient avant qu’elles ne l’envahissent les émotions négatives, faire le vide, ne pas penser.

    Pour grimper la côte, elle s’est aidée d’un bâton ramassé au sol. Elle l’a jeté au loin avant de s’arrêter.

    Elle a jeté ce bâton trop moche, trop sale. Elle en cherche un autre du regard. En voici un qui pourrait faire l’affaire. Elle le gratte avec la lame du couteau, le teste, il a l’air solide. Il est comme elle, il a du souvent changer de directions, à coup d’entêtements, histoire de ne pas céder devant l’adversité. Il est fait de brusqueries, de coudes et pourtant il tient debout.

    « Je te propose un marché, ami du bois perdu, si tu m’aides, je t’emmène jusqu’à Saint Jacques, là-bas en Galicie, tu seras mon compagnon de voyage. Guide mes pas, et je te ferai faire un beau voyage. »

    Dans les taillis elle trouve une paire de jumelles qui vient alourdir un peu plus le sac. Enfin, soulagée, elle sort du bois, une route, la route. Pas exactement où cela était prévu, faut-il aller à droite ou à gauche ?

    Elle est allée jusqu’à une ferme sur une petite hauteur, mais seul un chien braillard. Un peu plus loin, dans un champ, elle interroge un paysan, impossible de comprendre ce qu’il dit.

    Alors, elle poursuit dans cette direction, sans plus se demander où elle est. Cela n’a plus d’importance, le bâton ne l’a t-il pas sortie du bois ?

    Plus de tension, la marche se fait danse. Le vent se lève, brusquement, et avec lui se dit la pluie qui ne tardera pas. Là, un kiosque à pique nique, elle décide de planter la tente sous ce toit providentiel, sur un sol sans aucune bosse, lisse et doux.

    Pour ne pas avoir froid, elle a mis tous les vêtements dont elle dispose, le caleçon, le bonnet, les gants et s’est enveloppée dans la couverture de survie. Après l’étape chaudée, elle s’endort sans trembler.


    Des hurlements de chiens dans la nuit profonde qui s’amplifient et semblent se rapprocher. Réveillée, attentive, au moindre souffle de cette forêt, elle referme les yeux et s’en remet, elle dort la bombe lacrymogène dans la main. Elle ne voulait pas emporter cette arme dans ses bagages, c’est le fils qui a insisté. Elle a cédé, elle ne le regrette pas.

     


    votre commentaire
  • Elle a accepté que Marc l’accompagne en voiture jusqu’à Corbigny, il l’a décidée en lui parlant de la côte qu’il faut gravir. Sa description, avec force de qualificatifs sur sa rudesse, lui a retiré le peu de forces qu'elle a trouvées au réveil. Après paraît-il, c’est bon, du plat !

    Le Guide du Pèlerin du XIIIème siècle, recommandait vivement de ne pas s’arrêter en cette ville : « Il est, en ce lieu, des moines frauduleux qui prétendent détenir les reliques de St Léonard de Noblat… ». La voici hors de danger, son conducteur l’a sortie de ce repaire de menteurs, pas eu le temps de dire « ouf » qu'ils l’avaient traversé. Il a fallu qu’elle insiste, il commençait à pleuvoir, il voulait l’emmener plus loin, il ne voulait pas la laisser-là, seule, au bord de la route.

    Il est reparti, tout triste. Elle a vu sa peine, elle savait qu’elle n’y pouvait rien et que tout était bien ainsi. Il s’en retournait vers la petite maison, le travail, la famille. Elle, elle s’éloignait sous son sac trop lourd, avec pour horizon cette curieuse détermination qui l’avait poussée à prendre le chemin.


    La pluie ? C’est pas si terrible ! Bien à l’abri sous la cape elle pique-nique dans un petit coin de nature. La route en direction de Prémery est fréquentée et le passage des camions est plutôt bouleversant, mais elle a le moral.

     

    Une prairie, un peu à l’écart de la départementale, et la voici à la recherche d’un coin sans bosse, elle garde de celles d’hier un mauvais souvenir. Le repas est vite expédié, elle se glisse dans le duvet.

    Des bosses, il y en a pour finir plus qu’hier, et maintenant elle a froid. Tout à l’heure les douleurs et les échauffements la tenaient éveillée, cela commence par les pieds et finalement une chaleur intense sort de tout le corps.

    Les oiseaux qui s’étaient tus avec les dernières lueurs du couchant, reprennent leurs chants. Quelle est cette bizarrerie ?

    La route est trop proche. L’homme pourrait surgir à tout moment, violent, comme ça pour rien, pour le plaisir.

    S’endormir, une oreille au camion, dans ce mystère des oiseaux qui chantent au cœur de la nuit profonde.

     


    2 commentaires
  • Le sac est lourd, si lourd. Compostelle paraît bien loin alors que la chaleur malmène. Un pas est un pas ! Les pieds s’échauffent. Pour autant elle avance.

    - Qu’as-tu fait de ton bâton, l’amie, celui que tu as préparé avec tellement de soin ?

    - Je l’ai oublié chez les frères, ceux de la Charité de Jérusalem. Je devais dormir chez eux, mais il n’y avait plus de lit. Ils m’ont envoyée chez les Franciscaines après m’avoir offert le dîner. Il y avait un groupe de jeunes, quelques regards, timides sourires, la règle est au silence. Et dire que je m’étais fait du souci pour savoir de quoi nous pourrions parler… le silence qui s’impose est stérile, les sœurs étaient plus accueillantes.
    Le bâton est resté là-bas, oublié dans la cour où je l’avais déposé avant de toquer à la porte. Le matin lorsque je suis passée le récupérer tout était fermé, dans la basilique de Vézelay la messe avait déjà commencé.

     

    Alors elle a pris son chemin sans plus attendre, laissant derrière elle le bâton, poli, sculpté, pour la grande occasion. Fallait y aller !

    Quelque chose s’était passé... une rencontre au fond d’un couloir, dans la pénombre d’un soir pluvieux, une mystérieuse vibration qui avait réveillé quelque chose de chaud, de vivant…

    Elle avait laissé traîner une douleur dans l’épaule, le corps a sa propre intelligence, il saurait bien se réparer tout seul. La réponse fut un blocage de l’articulation qui devint si handicapant qu’elle prit peur. Le médecin ordonna une radio qui ne révéla aucun traumatisme, rien pour expliquer l’entrave de ce bras il recommanda des séances de kiné. A peine rentrée, elle téléphona.

    Une voix d’homme, claire, traversant l’espace, il est là. Comme s’il attendait cet appel, il dit qu’il peut la recevoir de suite.

    Dans la rue elle cherche, ne trouve pas l’entrée du cabinet, s’énerve, elle va être en retard, elle a horreur de ça. Enfin, se rend compte que plusieurs fois elle est passée devant le portail sans le voir. Une petite grille en fer rouillé, une courte allée bétonnée dans une cour embroussaillée, la porte de la maison s’ouvre, il l'attendait. Il la précède dans un couloir sombre, c’est à peine s’ils ont échangé quelques mots, elle aura ri, expliquant qu’elle ne trouvait pas … mais déjà elle se tait. La pièce est exiguë, c’est un autre couloir, un lit de consultation occupe l’espace. Elle ôte sa veste, il dit que ce n’est pas nécessaire qu’elle se déshabille.

    Elle s’allonge, sur le mur qui fait face, un poster, une plage de sable fin et cocotiers… Le regard se pose, le regard n’accroche rien, suspension, immobile, comme un fil invisible depuis ce premier contact avec la voix au téléphone.

    Il tourne autour de la table, ses mains restent au-dessus du corps, au niveau du pubis une douce chaleur. Rien ne la trouble, pas même cette émotion qu’elle sent en lui. Puis il lui parle d’énergies qui seraient bloquées, qu’il ne sait pas quand agira ce qu’il a fait, qu’elle pourrait faire ce qu’il fait, que pour la suite elle verra cela avec le kiné.

    Il a quitté la pièce, vif comme l’éclair. Le temps de remettre les chaussures, la veste, et les questions affluent : « Mais qui est cet homme, et qu’a-t-il fait qui agira tantôt ??? », et la peur. Elle ne lui posera aucune question, repartira infiniment troublée, découvrira au rendez-vous suivant que remplaçant du kiné, il est magnétiseur. Elle ne le reverra jamais …

    C’est au soleil qu’elle confia son épaule douloureuse, la douce chaleur persista, cela rayonnait. Mais aussi, voir le mensonge des choses qui faisaient son quotidien et son avenir comme un chemin tout tracé, ne plus supporter les compromis. Finalement, alors qu’elle n’avait que vaguement entendu parler de cette destination, la décision s’imposa : partir sur les chemins et rejoindre St Jacques de Compostelle. Pas de préparation, ou si peu, pas question de négocier, il fallait partir, faire et voir.

     

    Le pays de Vézelay est fait de pentes douces, pour les yeux seulement ! Elle s’est arrêtée, épuisée, a déposé le sac au sol. La fatigue verse son flot de larmes, la fatigue et la trouille aussi. Dormir, manger, boire ? Elle pleure, mais rien ne vient lui dire qu’elle pourrait abandonner, rentrer à sa maison, elle se remet en chemin.

    Elle renonce à rejoindre Corbigny alors qu’elle n’en est plus qu’à trois kilomètres. Trop de côtes ! Où planter la tente dans ce coin de bocage ? Pas une parcelle de terrain n’est accessible.

    Soudain tout s’accélère, elle n’est plus cette femme perdue, à moins que ce ne soit elle qui se précipite. Le coin pour planter la tente, elle le demande à la première personne rencontrée dans le hameau. Et ces inconnus, la reçoivent comme une amie. Marc a tondu un coin du près pour la tente, Sylvie a offert un rafraîchissement.

    Ils veulent savoir, pourquoi ? Ils racontent, deux femmes qui marchaient en plein hiver et qui étaient venues frapper à leur porte dans la nuit froide.
    Ils lui proposent le canapé et finalement leur chambre. Elle dit non, elle refuse aussi le partage du repas. Elle n’a pas faim, n’a rien mangé, elle tombe sur le tapis aussitôt la tente montée.

    Et c’est la première de ces nuits torrides, où le corps courbatu ne trouve pas détente, plonge d'un coup.

     


    2 commentaires
  • La ville est là, St Jacques de Compostelle.

    Elle ère dans les rues, la fatigue est grande, il serait bon d’atteindre enfin le but. Mais quel est-il ce but ?

    Elle se perd dans cette ville où les marques ont disparues. Comment se peut-il qu’après avoir autant marché, il n’y en ait pas un pour l’accueillir ?

    Elle ne peut pas demander son chemin, il y a plusieurs jours déjà qu’elle n’a plus parlé, comme si elle ne savait plus, comme si elle était revenue à cette enfant têtue qui ne voulait pas dire bonjour. Son entêtement est sa fatigue, sa fatigue son entêtement. Une ruelle, encore une, et soudain devant elle la basilique. Il lui faut tourner plusieurs fois autour de l'édifice avant de trouver la porte, celle qu’on ouvre si rarement et qui fait un jubilé. Une longue file s’enroule sous un soleil de plomb, elle prend sa place, la dernière qui bientôt ne l’est plus. Avec son sac sur le dos elle attend, ultime effort, comme si celui-ci devait être le dernier, qu’après viendrait… Elle sait que rien ne viendra, pas encore…


    Les badauds se disputent, la police doit intervenir. Ils parlent forts, et même en entrant dans ce qui est supposé un lieu saint, ils piaillent encore, les voilà qui s’éternisent en des embrassades à n’en plus finir sur l’objet St Jacques. Alors elle quitte cet endroit bruyant, se remet en marche, trouver le refuge, elle dormira au sol. Elle ira jusqu’au cap, et même jusqu’à Pardon, c’est là paraît-il qu’il débarqua le fils du tonnerre, puis elle reviendra à Compostelle et cette fois-ci posera son front fatigué sur la tête de granit avant de s’en retourner.

    Elle est partie il y a presque trois mois, ce n’est pas qu’elle ait traîné, mais…

     

     

    Pin It

    2 commentaires
  • Elle aimait à marcher dans la ville, prendre le dernier train pour rentrer.

    Elle quittait le lycée à pieds, ayant dépensé dans les cafés l’argent qui lui avait été donné pour payer le bus.

    Après le parc, elle remontait en direction de la cathédrale, passait près de la prison, ce grand mur de pierres hérissées de tessons de bouteilles.

    Puis elle redescendait dans les vieux quartiers…

    C’est là qu’elle se retrouvait dans les ruelles, dans la nuit souvent brumeuse. Seule, croisant quelques inconnus, elle aimait cette ambiance en toute confiance.

    Des images accompagnaient ces longues traversées solitaires, des images qu’elle gardait en esprit,  plus tard, elle écrirait sur son cahier, comme le peintre en quelques traits dessine une chambre rayonnante au fond d’une impasse.

    Il fallait s’extraire de cette obscurité trouée de la pâle clarté des réverbères. Ne pas manquer le dernier train.

    Lorsqu’elle atteignait la gare trop de lumière projetée sur la façade blanche, elle clignait des yeux. Ça faisait mal, comme le retour vers cette pseudo réalité, le train qui avalerait les kilomètres, le vélo qu’il faudrait pousser dans la côte, et la maison.

    Ils seraient tous à table, on la questionnerait, elle se taisant les poings serrés sous la table…

     


    votre commentaire