• Chemin de Compostelle - Le 16 Mai 1999

    La nuit a été très froide, et au lever du soleil, la rosée avait trempé verdure et tenture.
    J’ai cauchemardé à cause de la Vienne.

    Hier soir, en me rendant aux sanitaires, j’ai pris connaissance d’une information concernant les risques d’inondation. Et comme l’eau file à toute allure si près du bord, j’ai pris peur : « Qui va me prévenir si durant la nuit la rivière déborde ? Personne ne sait que je suis là, ce camping est fermé, aucun campeur n’est censé y passé la nuit. Il y a bien la centrale électrique tout près… Finalement, ce n’est pas rassurant, une centrale, ne risque t-elle pas de relâcher de l’eau de façon impromptue ? ». Me suis raisonnée et j’ai mal dormi.

    Me voici, bien contente de filer et, gravissant la pente, je me laisse aller à me dire que cette rivière a vraiment quelque chose d’effrayant. Ses eaux noires, rapides, à fleur de terre, prêtes à sortir du lit de la rivière, et attraper, et engloutir. Elles sont là, si présentes, si pressantes...

     

    Cette phobie de l’eau pour avoir, enfant, failli se noyer. Ce jour-là, elle avait cru savoir nager, s’en était vantée, oh pas tant que ça, juste un niveau d’assurance en soi qui se montre, et le fond qui se dérobe au moment de reprendre pieds, la panique, boire la tasse…

    Cela s’est passé tant de fois ce qui vient rappeler qu’il ne faut jamais aller en des certitudes, que la confiance ce n’est pas ça !

    Mais la voici, hors de danger, quelques mètres plus hauts, et toute tension se relâche.

    Elle l’a décidé, elle prend le train, pour rejoindre Limoges. Le doc a dit qu’il est impossible d’atteindre la ville à pieds, à cause de la ceinture des routes à grande circulation, aussi les pèlerins la contournent.

    Ne pas se rendre à Limoges ? Aller savoir pourquoi, elle a envie de la visiter cette ville. A pied le pèlerin, certes, mais …

    C’est comme ça que lui est venue l’idée du chemin de fer. Espiègle, elle se réjouit à chaque fois qu’elle pense à ce train qu’elle va prendre pour se rendre à Limoges. Tout le monde s’en fou, mais elle... éclats de rire qui explose un trop plein de sérieux, une application à la bonne forme, la peur quoi qu’elle en dise.

    La voici libre, juste heureuse d’être là.

     

    Je me présente pour le train de 10h20. Il n’existe pas le dimanche, il faut attendre celui de 14h20. Le chef de gare garde mon sac, je retourne en ville.
    C’est vraiment un ventre rond, tout chaud, et paisible.

     

    La belle romane résonne des chants de la messe, les pépés et les mémés endimanchés traversent la place avec le pain frais et le gâteau dominical.
    La descente ramène à la Vienne, je me tiens à distance des berges. Sur le pont St Martial, des enfants jouent, joyeux. De l’autre coté, une côte monte au chêne de Clovis, pique nique au milieu des ruines du château de La Motte.

     

    Le train, tout moderne et coulissant s’est élancé, il a dévoré la dizaine de kilomètres sans un seul arrêt. Elle a eu quelques difficultés avec la porte des toilettes, un système de fermeture qu’elle ne connaît pas et qui l’a met dans l’embarras. Trop de rapidité, elle ne se sent pas à sa place, étrangère à ces gens, ce confinement.

    Le train déverse son flot de voyageurs, elle avance sur le quai, s’arrête soudain :
    « Mon bâton ! »

    Tout s’embrouille, elle panique. Durant un instant, elle ne sait plus où elle l’a laissé, peut être lui a-t-on volé ?

    Un contrôleur, témoin de son désarroi, s’approche et l’interroge. Elle crie qu’elle a oublié son bâton sur le quai de la gare de St Léonard. Il pourrait bien rire, ou dire qu’il ne comprend pas. « Quel bâton? » Mais, rien de tout cela, il sait, il lui dit d’aller à l’accueil, que là, on s’occupera de son affaire.


    N’avais-je pas vu une pie ce matin, "une pie malheur" ?

    Oui, parce qu’il paraît, qu’une pie malheur, et, deux pies bonheur. Enfin, c’est ce qu’elle dit la petite Claudine. Et elle y tient à son histoire. Sans arrêt, elle dit : « Une pie malheur, deux pies bonheur » et elle se plaint si dans le champ il y a une seule pie, et dés qu’il se passe quelque chose, elle dit : « Tu vois, je te l’avais dit ».

    Ce matin, il y avait une pie ! Bien sur, je n’y crois pas à ces couillonneries. Je n’y crois pas, mais à force, à force, ça influence !

    La voici, arrivée à l’accueil. Elle entre en force, se précipite au comptoir et explique son histoire. Pas celle de la pie, non, celle du bâton oublié sur le quai. Il faut téléphoner au chef de gare, qu’il aille le chercher, faire le nécessaire pour le rapatrier ici…

    Ils sont trois dans le bureau. Ils n’ont pas l’air de la prendre au sérieux, rigolent un peu, lui disent que pour un bâton, on ne va pas… « Je ne partirai pas de Limoges sans mon bâton ! ».

    Devant tant de détermination, ils s’inclinent. On appelle St Noblat, il a déjà été retrouvé, il sera de retour en fin d’après midi, juste avant le train qu’elle doit prendre pour quitter Limoges.

     

    Je visite la ville, mon sac sur le dos. Il n’y a plus de consigne à la gare, à cause des attentats.

    « Quels attentats ? » On me rassure ce sont les attentats de… Ah bon, c’est encore d’actualité !

    Je fulmine, un peu, contre les administrations qui en profitent toujours pour se débarrasser, à bon compte, des services rendus à la population. Mais, je ne suis pas certaine d’avoir raison sur ce coup là, avec cette histoire du bâton … Et oui, pour finir, je me dis que ce n’est que justice, fallait pas le prendre ce train, et encore, ce n’est pas cher payé si je retrouve mon compagnon !

     

    La cathédrale, l’église St Michel, la ville est belle. Les rues comme ces rangées de strapontins dans les cirques, si bien que la vue s’échappe au-delà des constructions, laissant l’espace, relier ici et là bas. On ne se sent pas enfermé, mais en harmonie, il n’y pas lieu d’entrer en conflit avec ce qui est beau.

     

    Sur l’avenue qui mène à la gare, un bureau de Tabac est ouvert. J’en profite pour demander la carte IGN n° 48, que je cherche, déjà, depuis quelques jours. Ils ne l’ont pas ! C’est fâcheux, mais il y a plus urgent à régler, il faut ... Une certaine nervosité grandit depuis que l’heure approche...

    Je pénètre dans la gare. L’inquiétude cède, il est là, j’en suis sûr !

    Ils se précipitent dès mon entrée, ils sont deux à vouloir me rendre le bâton, courbettes en avant, se moquent ils de moi ? Je m’en fous, qu’ils s’amusent. Je ris, il est là !

    Cette peur du regard de l’autre, ce mur, vient de tomber, et rien ne peut freiner ma joie enfantine. Je fends la foule, et je ris encore, personne ne me voit !

    Le train s’arrête à Aix sur Vienne. Elle est là, noire et rapide, la même que celle quittée le matin. Heureusement, elle ne traverse pas le camping.

    Il est fermé, pas de problème, je passe la barrière pour m’installer. Un camping car, des hollandais, s’installent de l’autre côté, impossible d’entrer avec le véhicule. Ici, les sanitaires ne sont pas ouverts, alors ces voisins, de l’autre côté de la barrière, me donnent un jerrycan d’eau. Tous heureux, nous plaisantons de la farce.

     

    Dix arbres, majestueux font cercle dans l’espace de la prairie, un cercle de pierres vivantes dressées. Au centre, je plante la tente, près d’une table et d’un banc. Sûr que si le camping avait été ouvert, on ne m’aurait pas laissée bivouaquer ici.

    Il est 21 heures, le moment de se coucher.

     

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