• Dimanche. Sauveterre n’est plus sous la pluie, découvrir la ville ? Sans hésiter, je reprends la route.

     

    A St Palais, je mange près de l’église. Les Pyrénées au loin, sous mes pieds je sens la montagne pousser. La pluie revient, gentiment, le K-way suffit.


    Une dame qui revenait de la messe m’invite à prendre le café. Ça sent bon dans la cuisine. Elle me parle du temps qui est encore menaçant. «Le temps, je le prends comme il vient, mais je regrette à cause des paysages si beaux…».
    Elle m’embrasse.
     



    Au loin, un sentier gravit une pente tellement raide que cela semble impossible. «Te plains pas ! C’est dur, mais tu pourrais avoir ça à grimper!».

    Je stoppe net, tout s’arrête, je sais ! C’est le chemin qu’il va me falloir emprunter, impossible de vérifier d’ici, mais l’intuition est si forte.

    En bas de l’impressionnante montée, comme au bord d’un précipice, puis oubliant de penser, se mettre en route : « Si tu réussis à franchir celle là, sûr tu pourras faire face à toutes les difficultés. Va, poursuis ton chemin, que rien ne t’arrête ! ».

    A mi-côte, une pose s’est imposée, le cœur cognait fort emplissant la tête du son du tam-tam, puis repartir à pas lents, et réguliers.


    Au sommet, un pâturage où paissent les vaches en toute liberté, une chapelle qui résiste à tous les vents, c’est ailleurs ! Un ailleurs qui se laisse toucher, et qui pénètre l’antre, c’est doux, grand, libre...

    De nombreux pèlerins sont passés là et ont laissé de non moins nombreux messages sur le livre d’or. Longtemps je les lis, des visages apparaissent, des souffrances et des joies, tant d’espoir jeté au ciel. Envie de passer la nuit en ce lieu, de rester encore un peu, mais à pas lents et réguliers, je me remets en chemin et arrive au gîte.


    Le village d’Ostabat est de vieilles pierres, de ruelles, d’escaliers. Je devais y trouver foule, en ce lieu le chemin de Vézelay rejoint celui du Puy-en Velay. Hier, demain, mais pas ce soir, il n’y a qu’un couple dans ce grand gîte et le village est désert.

    L’ambiance est assez froide, ces pèlerins sont polis, la politesse est bien une mise à distance.

    Le soir venu, le propriétaire du gîte est venu, en même temps qu’il encaisse le montant de l’hébergement, il offre des œufs frais de ses poules. Un peu de chaleur dans ce logis.

     


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  • Découverte d’Orthez et rien ne presse. J’ai délesté mon sac de presque trois kilos ! Faute de pouvoir me séparer de la tente, j’ai fait un tri monstre. Le colis est parti chez Mamy-Papy. Je me sens si légère.

    En l’église… un accord profond, joie paisible. Pas de soleil, un peu de pluie, cela est sans importance.


    Départ tardif, je ne suis pas le parcours fléché qui fait un détour de presque 4km.
    Plus loin, retrouvant les marques, je décide de les suivre. Le chemin, que j’ai docilement emprunté, s’est peu à peu étoffé d’épineux de toutes sortes, peu à peu mais sûrement. Finalement, il a fallu se le tailler dans un enchevêtrement de piquants, se graffignant bras et jambes. Pourquoi ne pas avoir rebroussé ?

    Têtue la dame, elle n’aime pas faire demi-tour ! Pourtant, j’étais sur le point de le faire lorsque j’entends un chien aboyer. Au-delà du couvert une maison, un homme sur la terrasse me regarde tout en se délectant de je ne sais quelle nourriture : « J’avais un petit creux », me dit il tranquillement. Je lui fais remarquer l’état pitoyable du chemin, il sourit : « Oui, il y a un petit bout de ronce, mais après c’est l’autoroute ».

    Je poursuis l’effort en maudissant les petits creux, les petits bouts… Après c’est vrai, l’autoroute : une voie royale, de pelouse verte et douce.

     

    A Hôpital d’Orion, sur un parking près de l’église, je m’arrête. Une famille pique nique et me propose de partager son repas. Pas envie de parler, suis dans mon antre : « Non, merci, c’est gentil… ». Je vais chercher de l’eau, comme souvent j’en trouve derrière l’église.

    De retour, la gourde à la main, qu’un cycliste arrive. Il me demande où j’ai trouvé de l’eau, il se présente : il vient de Tours, il va à Compostelle… Il est bavard, mais bavard ! Un peu déprimé par les premiers jours de solitude sûrement, je reconnais ce qui m’habitait. Mon silence ne semble pas le gêner, il parle pour deux. Pain, pomme, fromage, c’est le menu du midi, un morceau de saucisson à l’occasion, c’est le cas aujourd’hui. Lui, sort un réchaud à gaz et met de l’eau à bouillir pour cuire des pâtes. Il me fait remarquer que pour tenir le coup il faut des sucres lents. J’ai fini de manger que l’eau commence tout juste à frémir. Il est temps pour moi de reprendre la marche.


    Plus tard il me rejoint sur la route, une route déserte parce que fermée à la circulation pour cause d’effondrement. Étrange ambiance, un silence dense qui nous rapproche, si proches... La montée est rude, il m’accompagne un bout à pieds. Avant de repartir il veut me prendre en photo, à mon tour je saisis son image.

    Le voilà qui prend de la distance, filant dans la descente, disparaissant dans la grisaille du jour ouateux. Ne reste que la brume dans laquelle à mon tour je disparais.

     

    J’ai bien grimpé, ces côtes sont à mon rythme, nous allons ensemble. Pose dans une grange isolée où finissent de vieilles machines agricoles.

    La pluie se met à goutter au moment de repartir. J’enfile le K-way qui très vite ni suffit pas, alors la cape. Ainsi, j’arrive à Sauveterre de Béarn.

    Il ne pleut plus, l’air est frais. Mes pas résonnent dans cette rue qui mène au centre ville. Pas de trottoir, l’enfilade des façades, et d’une fenêtre ouverte, une musique s’échappe. L’onde rebondit, balle, de murs en murs. Personne dans cette rue.

    Plus loin un café, je pousse la lourde porte. La salle est grande, pleine de gens de tous âges. Ils sont tous là, dans un brouhaha coloré. Personne ne semble remarquer mon entrée, ils sont absorbés dans leurs discussions animées et joyeuses, pourtant je suis vite servie. Me sens bien, chez moi… en quel autre endroit pourrait-on se sentir accueilli sans que l’on prête attention à soi ?

    Alors que je me lève pour partir, un vieil homme s’approche de moi. Il me prend la main, la retient longuement, me demande s’il peut m’embrasser. Suis surprise, il me sourit : « Ce sera pour une autre fois, alors. ». Autour rien n’a bougé.

     

    La pluie a repris. Je pars à la recherche de la chambre à 100Frs dont il est question sur l’un de mes "prospectus", elle est, paraît-il, réservée aux pèlerins.
    À ce prix là je cherche un hôtel ordinaire. Et voilà l’hostellerie du château, un immeuble classé entre vieilles pierres et lierres.

    Il y a l’arrivée sous la pluie battante, l’hésitation devant la porte, et… Elle a compris tout de suite, silencieuse elle me conduit jusqu’à la chambre. Toute dégoulinante, je traverse un hall immense, des guéridons, des marbres, et l’escalier majestueux. Je voudrais me déchausser, ne pas salir le tapis aux fleurs défraîchies, mais elle file devant, il me faut la suivre.

    La chambre sent bon la cire et le parquet craque sous chaque pas. Deux grands lits près d’une belle armoire, et les volets restent clos, me dit la dame. C’est bien, tout est bien.

    Elle me demande si je souhaite dîner. Oui, tout est oui. Dehors la pluie, dehors le froid, dedans tout est paisible, hors du temps.


    La serveuse m’installe face au bar, la table est bancale, dans un vase je reconnais le jasmin... non je n'en avais jamais vu avant...

    Des clients se dirigent vers une salle qui doit être celle du restaurant. Derrière la fenêtre, une terrasse battue de bourrasques. Le parfum envoûtant des fleurs, la saveur des mets, la robe du vin, les va-et-vient des uns, des autres, les arbres qui s’égouttent, la nuit qui descend … je suis de toutes ces trajectoires.

    Survient une éclaircie, la terrasse étincelle un instant, le silence plus grand encore
    Dans ce décor suranné, au bout de ce jour si particulier, se réalise ce qui était promis.

     


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  • La nuit a été étoilée de nombreux réveils, trop chaud, trop froid sans la protection de la toile. Et puis… le vertige devant cette immensité du ciel révélée par l’obscurité. L’observateur était là, qui guettait.


    Il est midi, elle passe près d’un manoir. Les volets sont fermés, le parc est si beau, elle aimerait se poser sur cette herbe à l’ombre du grand cèdre, mais avec ces murs… alors, elle pique nique devant la grille du portail, afin de profiter de la vue. Puis, elle s’aventure dans un petit chemin qui longe la propriété, et s’aperçoit que le mur s’arrête au coin. Rien pour empêcher le passage !

    Elle n’aime pas ce qui vient se dire, se peut-il qu’elle passe à côté, que cela l’abandonne ?

    Il faudrait pousser la question plus loin, regarder si c’est du dehors que cela vient, lâcher prise et laisser s’accomplir cette danse intérieure. Mais, vite, elle reprend sa route.

     

    Quelques raidillons, au loin se profilent les Pyrénées. J’ai réussi à atteindre Orthez, mais quelle douleur ! Brusquement est venu se dire, que ce mal pourrait bien être de la tendinite. Je m’arrête dans une pharmacie.

    J’ai demandé la direction pour le camping à une petite mamy. Elle m’accompagne : « Jusqu’où tu peux plus te tromper… ».

     

    Dans le bureau d’accueil, un vieux monsieur joue de l’accordéon, une dame derrière le comptoir me sourit. Deux hommes écoutent avec attention la musique, l’un d’eux se lève. C’est à peine s’il me regarde, son corps se déplace sans bruit, il s’approche, me retire le sac et me tend une chaise.

    Un si grand silence et… la musique.

     


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  • Au réveil, elle a voulu reprendre les rênes, car après tout, qu’est-ce cela ? Un trop plein de fatigue, une forme dépressionnaire ? Où cela va-t-il la mener si elle n’y met pas bon ordre ?

    Au milieu de la côte, plus moyen d’avancer, plus de souffle, les jambes molles, et la douleur lancinante des chevilles. Alors, s’extraire à chaque pas…

    Et puis le vent s’est levé, il ne pousse pas dans la bonne direction, et accomplit encore le grand œuvre vidant la tête. La rencontre se prolonge, s’approfondit dans ce corps à corps avec la puissance de l’air. Elle marche, elle marche vite, sans s’arrêter, sans plus penser.

    Arrivée Hagetmau. Plus de vent, elle retrouve ses esprits.

     

    Me voici aux abords de l’agglomération, et je me lance à la recherche d’une crypte dont j’ai entendu parler. Je fais un grand nombre d’allées et retours dans la ville et même un petit tour sur une route à grande circulation. Quand je la trouve enfin : elle est fermée.


    Je n’y crois pas, la nuit au camping coûte 95 Frs ! Après la course folle dans la ville, plus de force pour chercher une autre solution, j’en reste là. Pour ce prix le vacancier a droit à des sanitaires personnels. L’effet est des plus surprenants, des petits pavillons partagés en quatre, prolongés de l’emplacement privé, bien enclos d’une haute haie ! On se croirait parqué, comme le bétail, comme des cochons, chacun dans sa soue.

    Comment des gens peuvent séjourner ici ? Bah, je le sais, ils se sentent en sécurité, à l’abri des regards, où je ne sais quoi d’autre de tellement idiot !

    Je décide de ne pas monter la tente et de dormir sur la petite terrasse devant la porte de la douche.

     


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  • Le camping se trouve au bord de l’Adour, en bas d’une longue et raide côte qui mène à St Severs.

    Des familles vivent ici en caravanes, des ouvriers des travaux publics, mais aussi un couple de retraités. Ils m’invitent à prendre un verre.

    Lui a beaucoup voyagé, elle l’a parfois accompagné. Elle accomplit tous les gestes pendant que lui reste assis et raconte. Elle est silencieuse. Et ce n’est pas qu’elle rayonne du bonheur de le servir, elle est devenue son ombre, absente à sa propre souffrance.


    Je m’en suis retournée dans ma tente. Aujourd’hui pas de marche, j’ai décidé de mettre au vert mes extrémités. Depuis quelques jours les chevilles sont douloureuses, les mises en route difficiles, après quand c’est chaud, ça va mieux. Ainsi les temps de repos nécessaires à refroidir les voûtes plantaires occasionnent de pénibles redémarrages. C’est dire combien l’inactivité de ce jour entraîne de grincements de dents à chaque déplacement.


    Tapie dans l’ombre de la tente, elle laisse aller le temps.

    D’abord maussade à cause de la douleur, et l’idée de cette complication, et encore de cette côte qu’il va falloir grimper.

    Et puis, le défilé, des questionnements sans réponse, cette histoire du péché originel, de la culpabilité inculquée, et puis… se sentir happée du dedans.

    Comme si toutes les forces convergeaient en un point, en-dessous, venu des profondeurs de la terre. S’appesantir, s’enfoncer dans un état qui n’est ni sommeil, ni éveil. Au début, elle lutte, ne veut pas, elle tente d’ouvrir les yeux mais ne le peut pas. Ça devient un jeu, le jeu de résister un peu, pour se laisser rattraper, sentir la puissance qui se manifeste là.

    Un instant, feuille au vent, le savoir, et puis le trou noir. Revenir encore, sourire aux anges, plus de douleur, plus de pensées…

     


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  • Départ pour Bougues. Voilà que se pose la question de passer, ou pas, par Mont de Marsan. Alain et Dominique n’étaient pas d’accord à ce propos, et cette discussion me met devant un choix à faire. Non, je ne vais pas me prendre la tête ! Laisser se faire les choses.

    Il y a eu une autre discussion concernant l’intérêt de garder la tente, sur le camino des gîtes accueillent les pèlerins tous les 15 à 20 km. Finalement on m’a conseillé de la garder, trop de monde, en Espagne, en ces périodes de jubilé. Juste quand je m’étais faite à l’idée de m’en séparer afin d’alléger mon sac, ça fait contrariété. Alain m’a fait remarquer, qu’il est vraiment trop lourd, ben ça je le sais !


    La Lande, en son armada de pins, s’étend comme une vaste plaine. Ici, on dit, "Les Landes". Je n’en sais qu’une, qui s’étire le long des routes étroites. Une, et ça fait un ventre chaud, présence intime qui s’accomplit dans l’ombre des grandes sentinelles.

    Et là, à St Christau, alors que le gris s’est laissé pénétrer par une troué de bleu, jaillit l’immensité de la voûte céleste.

    Extase... le plein et la flèche, le dedans et le dehors, l’ombre et la lumière... la tête se renverse…

    Des mots viennent dire, ils signent la fin.

     

    Pas de Mont de Marsan, c’est vers St Severs qu’elle se dirige maintenant. Il y a là-bas un camping, où elle prendra une journée de repos.

     


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  • Dominique marche avec moi de Rejtons au petit pont, pour me mettre sur le chemin balisé. Elle me donne une coquille. Un peu grondeuse, elle me fait remarquer que c’est ainsi qu’on reconnaît le pèlerin. Je souris, et remercie. Au moyen âge, avant de s’en retourner, le pèlerin allait chercher la coquille St Jacques au cap Finistère. Celle-là attendra au fond du sac.


    A Roquefort, je m’arrête chez Mme Loublié. Bien avant que s’organise l’accueil des pèlerins dans la région, cette dame offrait le gîte et le couvert, elle garde le cachet à apposer sur la credencial. C’est la première fois que je fais un détour, et même un arrêt, pour officialiser ce document qui ne sera utile qu’en Espagne. Sur le camino, impossible d’accéder aux gites sans cette preuve tangible du cachet.

     

    Tu as ouvert la porte, toute petite et menue. Je t’écoutais. Dans le flot de tes paroles, et tu t’en excusais de parler tant, de me retenir, et je te rassurais, dans cette vague les souvenirs venaient se dire, et l’émotion aussi.

    Ta mère qui ne savait pas lire : « Je lui apprenais, elle n’y arrivait pas. Je vois encore les larmes dans ses yeux ».

    Toi petite fille déplacée durant l’occupation en Auvergne, que vous habitiez à Paris, et qu’il n’y avait pas grand-chose à manger. Toi, en manque des bras de ta mère, tu allais le soir sous un grand sapin, et lorsque le vent chantait dans les branches, tu lui confiais tout ton amour, qu’il s’envole jusqu’au cœur de la cité.

    Je t’ai quittée, il le fallait bien, te prenant dans mes bras. Je t’ai demandé l’autorisation de t’embrasser, nous n’étions plus qu’une. Nous sommes cela, dans cette tension vivante que nous comprenons si mal, voulant lui faire dire ! Alors qu’elle ne peut pas, elle agit.


    J’ai quitté Roquefort, sans avoir fait les commissions prévues, il était trop tard.
    Je filais bon train, lorsque je suis tombée sur Alain, il m’a remise sur le bon chemin. Je m’étais trompée, un peu plus bas, il venait vérifier la signalisation qui lui paraissait douteuse à cet endroit.

    Pour le repas du midi, j’ai mangé les œufs durs que Dominique avait eu la bonne idée de me donner.


    Arrêt à 16 heures, chez Maggy qui m’attendait, prévenue par les amis de Rejtons. Elle est veuve, elle vit seule dans cette maison. Ce soir donc, tête à tête féminin.

    Je les aime, ces rencontres féminines, tout y est simple, connu, et doux.

     


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