• Il semble bien que nous soyons Vendredi, pas moyen de le vérifier j’ai perdu mon agenda électronique, oublié au refuge de Najera et là, je suis seule.
    J’ai quitté la bande, trop de promiscuité, de complications, de non-dits.
    Ni une, ni deux, me voilà partie avec mon barda.


    L'endroit où je campe est un peu près de la route, mais sympa : un pont, des arbres, un petit coin de verdure aménagé avec des tables et barbecues.
    Aujourd’hui a été une journée étrange, dans la lignée de celle de la veille : l’orage, la cocina, la rencontre de Markus dans l'église, ce sentiment étrange, comme un souvenir…

    Ce matin, je suis partie tôt. Je sortais de la rue que j’ai entendu des pas, Markus était derrière moi. Pour la première fois, j’ai réellement fait un effort pour m’exprimer en Anglais. Nous sortions de la ville que nous avons retrouvé Albert arrêté pour ranger son anorak dans son sac.
    Visiblement ces deux là ne souhaitaient pas se rencontrer. Markus a filé devant, Albert faisant ce qu’il fallait pour me retarder. Je me suis prêtée au jeu, et loin devant le grand jeune homme a disparu, je l’ai revu dans l’église du village juste après Granön, puis à nouveau il a disparu.
    A plusieurs reprises j’ai croisé Albert, il traîne la patte, souvent arrêté pour consommer.

    A Viloria de la Rioja, village natal de St Dominique, tous les chiens sont venus me retrouver. Je suis restée à manger là, sur la place. J’ai aimé l’endroit, désert, perdu ; de la musique venait d’une maison, juste les quatre pattes, cette femelle aux mamelles protubérantes vides du lait qu’elle n’avait plus. Ces chiens errants vivent libres et ne sont pas agressifs, ceux là sont infiniment doux.


    Arrivée à Belorado, Markus a l’air sombre : « Tu arrives tard ! », Albert est encore attablé, et ces dortoirs exigus, sans fenêtre. Voilà que j’étouffe, alors je reprends le sac et traverse seule la ville, chercher un coin pour planter la tente.
    Trop d’ambiguïté, j’ai filé sans rien dire à personne.

    « Qu’aucune créature n’ait peur de moi, car tout est sorti de moi » Voilà ce qui serait bon d’affirmer.

    Les cloches sonnent au loin au monastère.

     


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  • Azefa j’avais oublié, mais mes pas ont bien été jusqu’à la fontaine pour une promesse faite à Rotraud.

    Vient de me doubler la danseuse Brésilienne, une liane souple et forte qui avance d’un pas léger.


    L’orage, qui a fait des ravages cette nuit, ne nous quitte pas, l’atmosphère reste étouffant, au loin des grondements, un ciel chargé d’électricité, j’ai beau hâter le pas, il me rattrape peu avant d’arriver à Aruera. Un homme, puis une femme, m’ont enjoint de me mettre à l’abri. Me voici dans une grange, alors que dehors éclairs, tonnerre et pluie s’abattent sur toute chose. Mais le toit est percé de partout, je navigue d’un endroit à un autre sans jamais vraiment être au sec. Le vent s’engouffre de toute part, et maintenant j’ai froid, je décide de reprendre la route !


    Santo Domingo de la Calzada m’accueille sous une courte éclaircie, mais la pluie reprend avant que je ne trouve un lieu pour dormir. C’est compliqué, plus de place dans les albergues ! Pauvres pelegrinos qui arrivent trempés où vont t-ils dormir ?

    Mais chez les Franciscaines, une petite sœur s’affaire afin de trouver une solution pour chacun. Pour moi, la cocina. J’ai mis un temps fou à comprendre, me voici, seule, enfin seule dans un local réduit avec un évier et… Oui une cuisine bien sûr !

    Ah, je remercie, c’est si étrange, comme si elle avait compris, senti ce besoin profond ...

    Je ne retrouve ici aucun de ceux que je connais, me voici orpheline. Quelle ambivalence ! !
    Albert me manque, je pars à sa recherche. Marcher au hasard, dans cette atmosphère humide, la cathédrale, et puis l’église tout près du refugio des Franciscaines.

    Elle avance dans l’allée centrale, un concert vient de prendre fin, et là parmi les quelques personnes qui quittent encore l’endroit, Markus, face à elle. Quelques pas et les voici tout près, ils se touchent du bout des doigts.
    Mystère de la vie qui fait s’échanger, en de si curieux instants, une telle intensité, hors du temps, du monde, dans une joie sans limite.

    Au refuge, Albert est apparu, je faisais cuire la soupe, il voulait que je l’accompagne au restaurant « Non, merci, ami, une autre fois... »



    Santo Domingo, chez toi
    J'ai trouvé la paix
    Et la quiétude
    Les petites sœurs sont si douces
    Et comme il fait bon
    D'être à l'abri
    Quand le temps se fait misère

    Santo Domingo, chez toi
    Je me suis sentie "moi"
    Sans âge, sans histoire
    Toute neuve

     


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  • Albert ronfle. Le petit homme au grand sac vide a bien escaladé le lit, ce matin il m’a soûlée de paroles. Puis il y a eu l’embuscade de Markus.
    Trop de fatigue, le corps est plus lourd que le sac, et c’est difficilement que j’ai fait les 16 km pour arriver à Najera. Mais la grâce est toujours là, elle surgit sans prévenir dans le silence ou dans le bruit.


    Avec Albert nous avons visité la ville.

    Le manque d’intimité devient plus obsédant, juste un lit pour tout territoire et ce pour un soir sous le regard omniprésent des pairs. Il s’intensifie encore avec la chaleur, dehors, dedans pas un souffle d’air.


    Dans la falaise abrupte, couleur vino, s’accrochent des grottes.

     


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  • Il est triste, je sens le poids de sa peine, il me suit, m’attend, laisse son regard s’appesantir, et déjà les choses deviennent compliquées. Il ne se déclare pas, juste cette présence qui devient obsédante. Ah jeune Markus, quelle est cette folie ?

    Je me suis arrêtée à Navarette sachant qu’il poursuivrait jusqu’à Najera, me voici coupée du groupe.
    Esthel devait s’arrêter ici est-ce possible qu’elle est fait les 30 km jusqu’à la prochaine étape ?

    Une fois de plus entre fatigue et sommeil qui se refuse, je préfère me relever.
    Le ciel tire sur les mauves, il s’emplit d’hirondelles et brusquement plus une seule, elles ont détalé dans un cri strident.
    La nuit tombe, les paupières s’alourdissent, j’hésite encore à retourner dans le dortoir.
    Être seule, j’ai tellement besoin d’être seule.

     


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  • Rotraud décide de nous quitter à Viana, comme ça brusquement à la fin du repas.
    Comme des enfants orphelins, nous reprenons le chemin Markus et moi. Il est triste.


    Dans l’après midi, Esther m’a rejointe à une pose, elle est là en ce gîte de Logronö.
    Elle a vécu 40 ans en France, elle était infirmière, depuis elle est retournée en son pays, l’Espagne. C’est son premier jour de marche, elle est épuisée. Elle m’a demandé de lui ramener une salade de la ville, la voici qui la mange feuille à feuille sans aucun assaisonnement : « Vous les français avec vos sauces ! »

    Oui, chacun ses habitudes, ce n’est pas un problème.
    Elle se lamente un peu, elle ne sait pas si elle pourra aller jusqu’au bout, c’est si dure, mais elle a fait la promesse, alors aujourd’hui elle s’est mise en route pour voir.


    Plus tard, je reste dans la cour, tout en haut du clocher, nichent des cigognes, elles font des allées et venues incessantes, saluées par les caquètements de leurs congénères.

     

    Tourne et tourne, osera, osera pas ?

    Et toi que feras-tu ?

    No abla espagnol...

     

    Les pèlerins sont des gens qui parlent fort

    Ils sont là, et tout à coup, ils ont disparu

    Dormir c’est ce qu’il y a de plus difficile

    Marcher aussi


    Il est nerveux le bougre, et moi je fais de la buée

    Sur mes carreaux et je m’endors sur ma chaise

    Va te coucher petite c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

     


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  • Dimanche
    Nous en avons décidé ainsi, je pars la première, plus tard, sur le camino, Rotraud et Markus me rejoignent. Ils marchent si vite ! Que Markus avance de ce pas allègre cela n’a rien de surprenant, il est jeune, très mince, en pleine forme quoi ! Mais que Rotraud me double dans les côtes, alors qu’elle est plus boulote que moi ! Rien y fait, ses cuisses font frou-frou, le pas rapide dans les montées, dans les descentes elle court, saute au dessus les pierres. J’ai voulu la suivre, elle était fraîche comme un gardon à peine sorti de l’eau, et moi complètement exténuée. J’ai dit : « stop, je ne peux pas continuer comme ça ! » C’est elle qui a proposé le rythme à deux temps et ça marche très bien comme ça, pas de frustration, ni de fatigue occasionnée par un non respect de son propre rythme.

    J’ai donc franchi la porte qu’ils flânaient encore tous les deux. Juste derrière moi, un pèlerin allemand. Cet homme est un géant, son bâton est à l’identique, une grosse branche, on pourrait dire un petit arbre. J’ai remarqué cette chose couchée au sol, hier soir, complètement incrédule, je me suis frottée les yeux.

    J’avance tranquillement, il est toujours derrière moi. Le géant serait-t-il escargot ?

    Alors que nous allions sortir de la ville, je l’ai senti se rapprocher, le voilà qui me dépasse. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau, comme un immense paquebot qui s’élance sur l’océan, il glisse !


    S’arrêter et poser le verre, que toute cette beauté puisse s’épanouir, le ciel gris et nuageux, le souffle du vent dans les pins, l’odeur du thym, tous ces chants vénèrent la beauté du paysage.

    Ils sont là, les compagnons d’un jour, puis très vite plus personne et le temps dérape et s’ouvre sur l’éternité. Tout est vacuité, ici ma vue brouillée le perçoit avec acuité.

    Puis reprendre la marche, et cette image qui s’impose de ces grands hommes, les Peuls je crois. Elle surgit lorsque le corps rectifie de lui-même la posture, le dos bien droit au milieu du sac, le regard posé là qui s’ouvre sur un large champ. Je me sens alors grandir, toucher le ciel, l’effet d’apesanteur disparaît, j’avance sans effort, à mon tour je glisse.


    Rotraud m’accompagne un moment, son regard bleu intense, elle est comme ces ponts qu’elle aime, elle relie l’allemand et le français et l’espagnol. Moi, j’aime les clochers, les flèches qui s’élancent au ciel, mais aussi les grottes profondes qui enfoncent leurs racines en la terre silencieuse.

    Le gothique et le roman ? Comment concilier les deux ? Le faut t-il vraiment ? L’un a précédé, mais quelle importance qu’ils sont là dans le même temps !


    Ce soir, nous nous retrouvons à Los Arcos, dernier repas avec Rotraud, je l’accompagne à la messe, cette bénédiction prend une signification particulière.

     


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  • Première journée de grosse chaleur depuis notre arrivée en Espagne. Je m’épuise vite dans cet air qui s’appesantit comme une chape de béton, l’air vient à manquer. Estrella est là, si belle, mais plus de force pour aller lui rendre visite.

    Ce matin était un autre jour, le bel homme est reparti. C’est "un qui rentre" qui se présente ce soir. C’est le deuxième que nous croisons, un de ces "fous" qui font le retour à pied. Comme un feu qui les habite, une force qui les fait avancer dans une intensité intérieure, palpable, agissante, si puissante.

     

    Stéphanie souffre de tendinite, Jean-Loup lui promet de ralentir le rythme demain.

    Dans le refuge déserté par nos compagnons partis à la messe, nous partageons le pain et le vin. Rotraud a choisi ce soir un melon jaune, Markus découvre et apprécie les vins espagnols.

     

    C’est vrai que les vins espagnols sont bons, vins de pays de qualité. Nous voici parfaitement détendus et gais, amis d’un jour, amis toujours.

    Soudain, c’est venu comme un bruit de casseroles en folie, une quincaillerie en délire, ce sont les cloches qui appellent pour la messe. Je ris, c’est si inattendu. Puis le rythme s’accélère, et s’amplifie, le son me pénètre et me fait silencieuse, aux aguets, quelque chose se dit là qui me trouble, comme un appel auquel mon corps répond.

     

    Le dortoir s’est rempli. Dans la nuit, les ronflements vont bon-train, pourtant Monica est silencieuse. Je m’impatiente, ne pouvant trouver le sommeil, je cherche refuge dans la cuisine. Bien avant l’aube je suis réveillée par un pèlerin qui déjà prend le chemin, je rejoins le dortoir.

    Entre deux états, deux mondes, du bruit est venu de la rue. Un groupe d’hommes, des espagnols qui échangent bruyamment.

    Si tôt, l’air a une qualité particulière, les sons y éclatent comme les premières lueurs du jour qui ne vont pas tarder, je ne suis pas vraiment éveillée, et pourtant ce qui se passe là dehors, j’y suis tout à fait présente. Ces voix graves, énergiques sont les hommes eux même. Ils viennent de la ville, fiers et forts, ils approchent. Puis ils stoppent sous nos fenêtres dans un silence qui s’impose et remplit l’espace, un silence habité. S’élève alors un chant clair, d’une grande beauté, un moment unique qui balaie la fatigue, joie partagée.

    Ils s’éloignent, je les accompagne loin, loin, le bruit de leurs pas, je marche avec eux.

    Un souffle vient de passer.

     


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