• Entre ciel et montagne, il y avait ce matin une ligne sombre de déchirure qui m’a prise toute entière.


    Me voici arrivée à Rabanal del Camino. je ne veux oublier, ni ce nom, ni ce lieu, ni ces visages. C’est la première fois que je me sens accueillie, bon je pense aux petites sœurs, et à d’autres c’est sûr, mais là…
    Un regard, un mot, une atmosphère, ici les hôtes parlent espagnol, mais aussi français, anglais, et chacun reçoit un peu de réconfort, on s’enquière de sa santé.

    Je suis si fatiguée, on m’a envoyée faire la sieste, et comme une enfant qui s’en remet, je dors jusqu’à cinqo. Et j’ai rêvé...

    Le chemin va-t-il me reprendre sur son dos ?

     


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  • Il y a ceux qui commencent le chemin, ils vont pattes blanches.
    Me voici à Astorga. j’ai décidé d’envoyer la tente à St Jacques. Il me faut m’alléger mais aussi marcher à la fraîche. Se laisser porter, ne pas s’opposer, mais s’adapter aux circonstances.

    Que c’est beau un sourire, depuis que Markus est parti, j’ai l’impression de ne plus avoir souri. Peut être en est t-il ainsi...

    Là où il y avait douceur et possible, il y a dureté et finitude. Là où il y avait rencontre, il y a le vide de l'absence.


    La vue est si belle, tu découvres la ville de la hauteur d'un Montjoie, où trône une belle croix bi-face.

     

    J’ai cru être seule alors au pied de la croix un élan : « Oh Grand esprit dont j’entends la voix dans toutes choses… » et là j’ai vu surgir de derrière le monument, un vieil homme un bouquet de thym à la main, il m’a parlé en espagnol. Je lui ai dit que je ne comprenais pas, il a continué à me parler, alors je l’ai écouté.
     

    Il voulait savoir de quel chemin je venais, j’ai eu un peu honte, mais je n’ai pas menti, du plus court celui qui longe la route.
    Dans la descente j’ai ri de la farce et un autre petit vieux m’a offert des cerises. Celui là parlait français, il voulait que je m’installe dans sa petite maison, il a voulu me toucher la main « pour St Jacques », deux fois il m’a touché la joue : «Toi, gentille», sa peau était rugueuse.


    Cet après midi, j’ai croisé des personnes plus tristes que moi. Il fait très, très chaud. A l’albergue j’ai retrouvé :

    - l’amie Australienne, aujourd’hui son chevalier servant n’est pas Dandy mais le petit Gandhi. Les choses ont l’air d’aller bon train pour eux

    - les deux jeunes finlandais, lui avec sa voix de basse qui semble toujours se plaindre, elle qui rit beaucoup à ce qu’il raconte.

    - le brésilien pas aimable a retrouvé sa femme et le sourire.


    Là, l’étau se desserre un peu et déjà je peux me projeter en douceur, en tendresse.
    Au loin, la montagne se précise, ce soir elle se détache distinctement à l'horizon, bien que ton sur ton.

    Lorsque je suis retournée au refuge, une fille du fond de son lit me fait un grand sourire, c'est Patricia. Elle commence le camino aujourd'hui.

     


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  • J’ai très bien dormi, il y a eu beaucoup de bruits du coté du refuge, dans la nuit des cavalcades « Oh la luna ! »

    Oui, la lune devait être belle, pleine, je suis restée au fond de ma couette dans cet état de repos, et entendre les bruits.


    Je me suis rendue à l’albergue pour chauffer le café, ils sont tous partis, laissant un tel désordre, la cuisine dans un état innommable, des détritus dans tous les sens. « Oh désolation ! »


    A Hospital de Orbigo, je choisi le refuge municipal, éloigné de la ville, mais très calme. Pour le moment je suis seule.
    Le chemin a été difficile, mais tout est difficile ces derniers jours. Pourtant du matin jusqu’au soir, le ciel a cette pureté incomparable. Vacuité !

     


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  • Faut t-il y croire ? Et pourtant je le jure c’est vrai, à la sortie de Léon, il y a un parc magnifique et un paon lance son cri « Léon, Léon ».
    Je vais doucement, bien obligé !

    La lune se couchait quand je me suis mise en route, elle a disparu peu à peu dans la brume matinale. Au bord du canal deux jeunes pies bavardaient.

    Au fond sur le chemin comme ailleurs ce qui est différent n’est pas accepté, celui qui n’intègre pas le groupe, en se tapant sur le ventre, en franche rigolade tardive, « Ah, ce qu’on est merveilleux !!!! ».
    Celui là n’est pas le bienvenu. C’est fou comme les humains n’aiment pas ce qui sort du troupeau.


    Le refuge est bondé, plus un espace de libre au sol.
    Et vlan, v’là Betty. Je lui ai piqué son lit, façon de parler, c’est l’hospitalière qui a fait l’erreur. Pas de problème, t’es ma sœur prend mon lit, je te laisse, relax, relax, qu’elle me fait avec condescendance.

    Trop, c’est trop, je lui redonne son lit, à côté de sa copine. Alors je demande un coin pour planter la tente, Betty est espagnol, mais elle parle anglais, je la charge de cette recherche. Elle ne cesse de me dire que si , que mais, je peux…
    Et me voilà, bénie des dieux, à regarder le ballet des cigognes dans le ciel, à attendre le coucher du soleil et qui sait attendre le lever de la lune.
    Au loin, comme de bas nuages, la montagne assombrit l’horizon. Le ciel est d’une limpidité à toute épreuve, j’entends Markus dire «No clouthes» C’est plus que ça Markus, c’est la vacuité, la lumière cristalline.


    Le petit espagnol « Quetal » est venu me trouver pour savoir. Je lui ai répondu en français, et chose étrange il semble avoir compris. N’ai-je pas compris ce matin que c’était son premier jour et qu’il avait les boules.
    Quelqu’un cette nuit a allumé la lumière, le vieux mexicain je crois, et Quetal s’est redressé « Quetal ? » avec une voix paniquée.

    Ici c’est Villar de Mazarife. Demain seulement 12 km pour rejoindre Hospital de Orbigo, à moins que je poursuive et que je fasse du camping sauvage. On verra.

     


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  • Folle, je suis folle, mes doigts sont tellement gourds, qu’ils n’ont plus de force. Pourquoi avoir ainsi laissé le froid te prendre jusqu’au plus profond de ton être ?

    Je te reconnais là, à cet entêtement. Et maintenant il va falloir des heures pour te réchauffer. N’oublie pas un corps maltraité empêche la libération, il crée l’ego.


    Me voici à Léon. Y a pas à dire quand plus rien ne va, s’arrêter, manger, ça retape sérieusement. Maintenant j’attends que l’auberge ouvre ses portes.

     

    La ville est bien belle, je vais aller en sa découverte, me trouver des sandales aussi pour soulager les pieds. Ils ne sont plus que moignons.

    Le mendiant a partagé, des deux gâteaux que je lui tendais, il m’en a offert un. J’ai visité le musée, et dans la douleur de chaque pas, j’ai ressenti au plus profond celle d’un autre temps, il était là assis, dans l’attente du moment où ils allaient le mettre en croix.


    A 16h personne dans les rues, à 19h ça pullule dans tous les coins. Pas de pacadillos à cette heure, tant pis pour moi, il ne reste plus qu’à rentrer clopin-clopant.

     


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  • Dimanche
    La province de Léon n’est pas accueillante, l’itinéraire est mal fléché, la plaine est hostile.

    Je suis arrivée à El Burgo Ranero, la fontaine n’est pas indiquée, il a fallu la chercher longtemps.

    J’ai demandé ma route à un pépé qui m’a tapoté l’épaule.
    Là, je suis arrêtée dans un bar, Dandy vient de traverser la rue d’un pas fatigué. Le patron est petit, les yeux très noirs, c’est à peine s’il a fait attention à mon entrée ici.

    Je pose un peu parce que l’aventure c’est maintenant 12 km pour Reliegos. Écouter la musique réchauffe le cœur endolori. Est t-il vraiment 9h15 ? C’est possible.
    Cette plaine est vraiment hostile au pèlerin, on y crève de chaud ou de froid. Mais je prends et je vais y retourner.

     


    J’ai écrit mes plus belles pages
    Sur cette feuille immense qu’est la plaine de Léon
    Elles se sont envolées au vent piquant
    Celui qui brûle de froid et de chaud

    Dans cet océan sans limite verdoie un serpent
    Il ondule comme une grande vague calme
    Il se perd à l’horizon dans le gris du ciel
    Comme toute pensée et toute attente

    Il me fallait faire cette expérience, comme celle de la mort
    Pour apprendre encore une fois à me laisser porter
    Emportée dans un véritable lâcher prise

     


    A Reliegos il est 13 heures, je ne vais pas m’arrêter là. Mes chevilles me font terriblement souffrir.

    Le bar se remplit, brusquement je file.


    Me voici à Mansilla de Las Mulas, il a fallu forcer contre le vent. Au refuge, Dandy, Stephan, l’amie Australienne, les deux Japonaises (hi, hi, hi, hi…) et tant d’autres, le ronfleur pas commode...

    Demain Léon à 19 km.


    Il faut revenir à cette expérience vitale du vide car la plaine est le vide, un vide de vent. Oui, le vide est plein d'énergie.

    L’ego fout le camp dans ce genre de confrontation, la structure explose, implose, elle s’efface devant ce qu’elle ne peut maîtriser.
    Pas le choix, si tu veux traverser, que de s’en remettre dans une confiance sans faille. C’est dans cette ouverture, comme en la jouissance que l’on retrouve le chemin.

     


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  • Ce matin j’ai fait 6 à 7 km inutiles en m’égarant. Je suis à Sahagun devant une bière. Que faire, continuer, s’arrêter là?

    Prendre le train jusqu’à Léon ? Aller planter la tente dans un coin ? Réconciliation ? Pour le moment ne prend aucune décision. Va voir si la basilique est ouverte.


    La tristesse se transforme peu à peu en mauvaise humeur. Je bouge ! Inutile de rester ici si c’est pour faire la gueule. Je reprends la route la hargne au cœur. Aujourd’hui j’aurai fait plus de 30 km.


    Allons mon amie ne restons pas si terre à terre

    Finalement c’était sympa cette histoire sans fin

    Décolle ton nez de ce qui ne sera bientôt plus qu’un caca.


    J’avais dit, j’essayerai d’aller jusqu’à Berciano Del Real Camino, là notre pèlerin avait campé.

    Dans le coin, il y a deux itinéraires et je me suis peu à peu persuadée que je m’étais trompée, que je n’étais pas sur celui qui passe à Berciano.
    Quelle importance ? Ah, je ne sais pas, à cause des indications envoyées par maman, je les consulte chaque jour. L’aventure rend vulnérable, et me voici accrochée à ces annotations sur papier décalque. Je pourrais encore gamberger comme je sais si bien le faire sur le pourquoi et le comment, mais là je renonce à cette mise à distance.


    J’arrive en un village, dont je ne vois pas le nom, tout est étrange en ces murs.
    Je demande : « Dondé es el albergue », ces mots me conduisent d’habitude à la porte du refuge où je retrouve les compagnons. Il me faut-là interroger 4 personnes pour finir par aller frapper à une porte. A nouveau embarras, mais la petite dame finit par m’accompagner et m’ouvrir la porte de l’albergue. Ah là là tout en chantier et un chantier sale. Au 1er étage, je trouve un coin où je peux installer mon tapis.
    La fatigue, les douleurs, la tristesse, la colère, un raz de marrée, un sanglot, une fin du monde, puis un lâcher prise et je m’endors dans les rugissements du vent.


    Des bruits me réveillent, il y a du monde là dedans. Les travaux vont bon train, un samedi passé 18 heures. Les ouvriers n’en reviennent pas me voyant débouler, ils me disent que je ne peux pas rester ici, je comprends qu’il me propose d’aller ailleurs.

    Je ne veux pas aller ailleurs, je veux rester ici.


    Je suis retournée jusqu’à l’entrée du village pour me laver à la fontaine et repérer le chemin pour demain. Je suis passée par la rue Rita et la rue Léon, j’ai rencontré un berger avec son troupeau.


    Maintenant je sais que je ne me suis pas perdue ! Là, le nom du village, je suis bien à Berciano Del Real Camino. Peu à peu, je découvre tous les détails notés par maman, c’est comme un jeu de piste, chaque découverte me redonnant consistance, confiance.

    Alors, enfin apaisée et tellement fatiguée, je m’en vais me coucher en cet endroit si particulier, comme si dormir là, participait de quelque chose dont j’ignore tout.

    Le vent mugit dans la plaine, pénètre dans la pièce, fait vibrer la vitre, la solitude est grande, totale, plus rien n’y échappe, je m’endors profondément.

     


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